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Da sotto in sù

31 janvier 2011

Le Louvre d'Henri II

 Le Louvre que l'on peut admirer aujourd'hui n'a été commencé qu'à la Renaissance, et remplace un vieux Louvre médiéval dont le roi ne s'accommodait plus. C'est ainsi qu'en 1528, le roi François Ier fait détruire le donjon de Philippe Auguste, qui se dressait au centre de l'actuelle Cour carrée. La construction d'un nouveau palais royal n'est pourtant entreprise que plusieurs années après, alors que le Louvre médiéval existait encore. Le roi, un an avant sa mort en 1546, charge Pierre Lescot (1510-1578) du nouveau chantier, après en avoir écarté Sebastiano Serlio.

 

 Les artistes

 Si Lescot a reçu une formation de peintre, on ignore comment il en est venu à l'architecture. Celui-ci n'avait pas, en tout cas, de formation de « maçon » comme Philibert De l'Orme, qui l'accusait d'amateurisme, en avait reçu une. La construction de l'aile du Louvre d'Henri II est la seule qui soit certifiée de sa main. D'autres bâtiments lui sont attribués avec plus ou moins de certitude, dont l'hôtel Carnavalet et la fontaine des Innocents, à Paris également. Il dirigea le chantier du Louvre jusqu'à sa mort en 1578.

 Jean Goujon (~1510- ~1569), architecte et sculpteur originaire de Rouen, a été le collaborateur régulier de Lescot, au point qu'il est difficile de départager la part de travail fournie par ces deux artistes à ces monuments. Néanmoins, son style propre n'est pas bien défini : si on compare les nymphes de la fontaine des Innocents aux gravure du Vitruve de 1547, la différence de style apparaît nettement. Sa personnalité artistique conserve donc une aura de mystère.

 L'hôtel Carnavalet, le Louvre d'Henri II, la fontaine des Innocents, le jubé de Saint-Germain-l'auxerrois, ces constructions lient indéfectiblement les noms de Lescot et de Goujon, au point que l'on ne sait plus exactement ce que l'on doit attribuer à l'un ou à l'autre. La fontaine et le jubé (détruit) offrent des points de comparaison saisissants avec le Louvre d'Henri II.

 

 L'architecture du bâtiment

            Ce bâtiment se compose ainsi : deux niveaux d'étage (grande salle au rez-de-chaussée et étage noble) sont surmontés d'un attique (étage plus petit en hauteur) et d'un toit « en mansarde », un escalier rampe-sur-rampe logé à droite de l'aile. De l'extérieur, l'aile semble composée de trois pavillons reliés entre eux. La façade de l'actuelle Cour carrée est abondamment décorée, tandis que celle qui se présente de l'autre côté avait été volontairement laissée simple et vide, selon l'habitude française de laisser une façade simple sur rue et décorée sur cour. Elle fut dénaturée sous Napoléon III et ornée à la façon dont on la connait aujourd'hui.

 Cet ensemble simple et régulier ne doit pas faire oublier une conception assez difficile. Lescot avait prévu au départ de loger l'escalier au centre de l'aile, ce qui produisait un décochement sur la façade, une petite avancée. Henri II lui demande en 1549 de changer ses plans et de le placer à l'extrémité droite de l'aile, afin de faire rentrer une grande salle de bal au rez-de-chaussée. Un nouveau décochement à droite devait donc être intégré par Lescot, il en rajouta un à gauche de l'aile pour conserver la symétrie. L'impression visuelle des pavillons (ou des tours) reliés entre eux, comme cela se pratiquait en France (par exemple à Chambord) est conservée visuellement, alors qu'en réalité, le bâtiment est absolument uni. Lescot désire s’insérer dans la tradition française, tout en modernisant un système de construction reconnu et établi.

 Par ailleurs, l'étage d'attique (logements des femmes) ne devait être construit que sur les trois « pavillons », mais ont été construit sur tout le bâtiment, renforçant son unité interne. La façade devenant trop haute, Lescot ne pouvait pas conserver le toit tel qu'il existait jusqu'alors en France, montant très haut jusqu'à occuper la moitié de la hauteur du bâtiment. Il décida donc de briser le toit pour conserver des proportions correctes. Cette invention, le « comble brisé », fut reprise par Mansart, jusqu'à porter son nom, la mansarde.

 Les efforts de Lescot semblent avoir tendu à ménager la chèvre et le choux, à conserver les habitudes de construction française (grande salle, haut toit, pavillon) avec le nouveau vocabulaire architectural provenant d'Italie. Par exemple, l'escalier « rampe-sur-rampe » (dont les volées se déploient autour d'une échine centrale) vient d'Italie, remplaçant l'escalier en vis gothique. L’ancienne architecture gothique paraît ainsi complètement rejetée.

 Cette réalisation plut tant à Henri II qu'il demanda à ce que la cour formât un carré, cerclé de la même façade sur les quatre côtés. Une aile, le « pavillon du roi », pour le logement du roi et de la reine fut donc construite à partir de 1553 le long de la Seine, à angle droit avec la façade déjà existante. Les deux premier niveaux copient effectivement la première façade, tandis que le dernier, achevé par Le Vau dans les années 1660, dérive déjà dans le projet d'agrandissement de la cour.

 

 Description de l'extérieur

 La façade conçue par Lescot dans l'actuelle Cour carrée fit sensation à l'époque de sa réalisation, par sa nouveauté audacieuse.

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Le ton est donné par le langage architectural adopté, celui des ordres antiques, avec les pilastres et les colonnes engagées corinthiens. Cet italianisme donne l'occasion à Lescot de quadriller strictement sa façade, et de donner un espace nécessaire à l'épanouissement des hautes fenêtres verticales exigées par les habitudes gallicanes. Pour éviter la monotonie, les pilastres sont laissés seuls, les colonnes sont doublées. Des espaces larges et plus étroits sont donc espacés régulièrement, conférant un rythme à l'ensemble.

 Par ailleurs, Pierre Lescot s'emploie à animer la façade au maximum : les arcades du premier niveau donnent l'illusion d'une fausse galerie ; la pierre employée est bien lisse, mais des chainages sont adoptés aux angles, différentes couleurs de pierre sont utilisées. Enfin, les décochements, les colonnes engagées donnent l'impression que la façade se déploie en trois dimensions, créant des jeux d'ombres et de lumière.

 Il va enfin presque sans dire que la sculpture tient une place privilégiée dans ce chef-d'œuvre. Elle est présumée être de la main de Jean Goujon, et sculptée entre 1547 et 1549. Du fait que l'élément sculpté s'intègre parfaitement à l'architecture, il est probable que Goujon a travaillé en bonne intelligence avec Lescot. Taillée en bas et hauts reliefs, la sculpture acquiert un charme et une grâce unique.

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Celle-ci est profondément inspirée, comme l'architecture de la tradition gréco-romaine, plus précisément hellénistique (les drapés sont d'une très grande finesse). Enfin, des répliques de statues antiques étaient placées dans les niches de la façade, complétant par la ronde-bosse la décoration en relief.

 

 Description de l'intérieur

 L'intérieur du Louvre d'Henri II vaut surtout pour la qualité de la sculpture. Les décorations de l'escalier ont été réalisées après 1553 par quatre ateliers différents, mais pas par Goujon. Il était dans les habitudes françaises d'en mettre plein la vue au visiteur dès l'escalier, c'est la raison pour laquelle il fut particulièrement bichonné.

 La salle des cariatides était l'ancienne salle de bal. Commandée en 1550, elle ne fut terminée que vers 1558. La tribune des musiciens est fameuse, soutenue par les cariatides. Celles-ci, inspirées de celle de l’Erechthéion d'Athènes, furent dessinées par Lescot et réalisées par Goujon :

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De l'autre côté de la salle, le « Tribunal » surélevé, était le lieu où s'installait le roi pour dominer cette grande salle. De même que l'extérieur, le langage adopté ici est celui de l'Antiquité, d'une inspiration cependant plus libre et moins rivée sur le traité de Vitruve.

 Les appartements du roi ont été décorés après 1556 de lambris très fins et raffinés réalisés par Francesco Scibec de Carpi. Il est l’auteur des plafonds à caissons, dans le goût italien, qui ont été les premiers du genre en France. Celui-ci avait réalisé les lambris du château de Fontainebleau.

Des tapisseries complétaient la décoration intérieure.

 

 Le style « Henri II »

 Le style que Lescot utilise est dit « Henri II ». En architecture, il se caractérise par un classicisme très strict, issu de l'Antiquité, comme on peut le trouver expliqué dans le traité de Vitruve De Architectura (Ier siècle). Les premiers excellents exemples de ce style sont la villa de Saint-Maur de De L'Orme (à partir de 1541), et la façade monumentale de Bullant au château d'Ecouen (vers 1545). De L'Orme et Lescot sont célébrés par Du Cerceau dans Les plus excellents Bâtiments de France (1576) comme les restaurateurs de la bonne architecture en France. Ils ont effectivement été, avec Jean Bullant, les premiers architectes à correctement utiliser le style antique en France, en copiant pourtant très peu ce qui se faisait en Italie (et en introduisant des « irrégularités » et des gallicismes que les italiens n'auraient pas tolérés).

 Ce retour à l'Antiquité gréco-romaine est une volonté de rompre avec l'architecture gothique, de transporter le royaume de France à la pointe de l'art et de la modernité. Par ailleurs, à l'époque, utiliser l'architecture que connut Auguste et la sculpture grecque est en soi une façon de se lier au passé resplendissant de l'Europe, aux souverains glorieux des temps païens auxquels le roi de France désire se comparer. Le décor sculpté de la façade lui-même œuvre dans le sens d'une glorification du roi : celui-ci apport la paix et la Grâce de Dieu au royaume. Il est, à la façon d'un nouveau Titus, le bienfaiteur et le souverain absolu de ses territoires.

 

 En somme...

 Ce bâtiment fut l'objet d'une grande admiration à son époque, et encore jusqu'au XIXe siècle par les romantiques : on peut voir, et on a vu, dans la façade le début du classicisme en France. Les autres ailes de l'actuelle cour ont été construites en fonction d'elle, sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV. Le Louvre de Lescot devint ainsi un modèle pour l'architecture française des XVIe et XVIIe siècle, tant dans l'esprit général que dans les détails (les médaillons ouverts couronnés de guirlandes, le toit brisé, l'aile constituée de trois avant corps, la fausse galerie du premier niveau...).

N.B.

 

 Bibliographie

 CHASTEL André, L'art Français, t. 3, Temps modernes, 1430-1620, Paris, Flammarion, « Tout l'art histoire », 2000, 254 p.

 PEROUSE DE MONCLOS Jean-Marie, Histoire de l'architecture française, De la renaissance à la Révolution, Paris, Mengès, 1989, 515 p.

 ZERNER Henri, L'art de la Renaissance en France, l'invention du classicisme, Paris, Flammarion, « Tout l'art histoire », 2002, 447 p.

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14 décembre 2010

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Chers internautes,

Notre blog propose des articles consacrés à l'histoire de l'art, des périodes antique et moderne au sens large principalement (environ 1400 à 1850). Dans un souci de lisibilité sur un écran d'ordinateur, nos articles resteront d’une taille modeste.

Nous tenons à respecter certains principes de départ sur lesquels nous nous sommes mis tous trois d'accord (certainement aussi pour pouvoir parfois les transgresser).

- Nous tenterons d’aborder des facettes de l'art moins connues, celles dont on n'entend pas aisément parler sur la toile. Aussi, présenterons-nous des horreurs ^^. Elles constituent en effet l'histoire des Arts au même titre que le reste.

- Par ailleurs, notre vœu est de traiter les sujets de façon transversale. Cela signifie que certains d’entre eux seront abordés dans différentes catégories et sous différents angles d’approche.

- Enfin, nous désirons tenir un discours construit, qui ne se limiterait pas seulement aux noms et aux dates, mais qui plongerait dans « l'intimité » et les intentions profondes de la création des œuvres.

Nous nous promettons d'écrire sur les sujets qui nous tiennent à cœur, dans le but de nous faire plaisir et d'éveiller la curiosité du public. Si vous avez des suggestions de thèmes à aborder, n'hésitez pas à nous en faire part.

Nous espérons que vous prendrez beaucoup de plaisir à nous lire!

Les créateurs de Da sotto in sù


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BATONI Pompeo,

Allégorie des Arts,

1740, huile sur toile,

175x138 cm,

Francfort, Städel Museum

 

 

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